En-tête
EVE : chanter ensemble pour une enfance épanouie
Reportage
La Philharmonie de Paris lance EVE – Exister avec la voix ensemble, un nouveau projet de chant choral destiné aux élèves de 8 à 10 ans au sein d’établissements classés REP+. Son originalité ? Le travail vocal est abordé avec une approche pédagogique pluridisciplinaire, dont l’objectif est de favoriser le développement global de l’enfant et son bien-être à l’école. Reportage après la première phase de son implantation.
Contenu libre
Le 26 juin dernier, 120 écoliers ont foulé pour la toute première fois les planches du Studio plein à craquer de la Philharmonie de Paris. Six classes de CE2 de l’école Cheminets à Paris et de l’école Paul Doumer à La Courneuve, réunies en chœur, ont chanté d’une seule voix un programme haut en rythme et en couleur. Deux répétitions avant le concert ont permis aux petits choristes de relever le défi haut la main. Cette restitution marquait la fin de la première étape du tout nouveau projet EVE, Exister avec la voix ensemble, lancé depuis janvier dernier par le département Éducation et Ressources de la Philharmonie de Paris. « Les enfants ont fait un travail remarquable en seulement cinq mois, remarque Anne-Gabrielle Chatoux, professeure de rythmique Dalcroze et encadrante. Cinq mois de travail avec les élèves non-musiciens qui pour la plupart, n’ont jamais chanté dans une chorale. Ils ont tous chanté, même les enfants les plus réservés ont participé aujourd’hui, et pour nous, c’est une grande victoire ».
Car si la pratique artistique collective est effectivement au cœur du projet EVE, elle est abordée d’une façon inédite, ainsi que l’explique Marie-Hélène Serra, directrice du département Éducation et Ressources : « C’est un projet de chant choral renforcé par des activités musicales centrées sur le corps et les émotions dans le but de contribuer au développement global de l’enfant. Expression des émotions, qualité des relations avec les autres enfants et les adultes, climat collaboratif dans le groupe, sont autant d’aspects pris en compte dans le travail musical afin de favoriser le bien-être de l’enfant à l’école et les apprentissages. »
L’enfant est considéré dans sa globalité
Le travail est intensif et de longue haleine : pendant trois ans, du CE2 au CM2, les équipes pluridisciplinaires de musiciens intervenants continueront à encadrer quatre heures de chant choral hebdomadaires dispensées sur le temps scolaire. Les enfants apprendront à chanter, bien sûr, mais suivront en parallèle différents ateliers : la technique Alexander, la rythmique Dalcroze, la créativité et l’expression des émotions sont autant de propositions de pratiques intégrées à la pédagogie qui soutiennent l’équilibre psychologique des enfants, améliorent leur confiance en eux, favorisent l’engagement et la concentration. Pour y arriver, l’ensemble des acteurs du projet (musiciens et personnels des écoles), coordonné par la Philharmonie, fonctionne en étroite collaboration, dans un souci d’adaptation constant aux enfants, comme le décrit la cheffe de chœur et musicothérapeute Johanna Manteaux qui encadre les ateliers créatifs : « Notre rôle est de stimuler la créativité des enfants et la prise de plaisir à travers le chant. J’utilise les techniques de la musicothérapie et le jeu pour travailler la désinhibition des enfants dans l’utilisation de la voix. Au cours de cette première phase du projet, notre objectif était de faire prendre conscience aux enfants qu’ils ont une voix et qu’elle peut leur servir pour exprimer des émotions ».
Deux années de gestation ont permis d’identifier les pratiques pédagogiques axées sur les liens entre la voix, le corps, la pensée et les émotions, et qui viendront soutenir l’enseignement des chefs de chœur tout au long de ce premier cycle : « L’une des questions à l’origine du projet était de savoir comment la pratique du chant pouvait offrir à la fois une éducation artistique de qualité et procurer aux enfants ce dont ils ont besoin pour se sentir épanouis et donc heureux d’apprendre. Donner l’envie de chanter et de venir à l’école. Des démarches pédagogiques qui accordent toute leur importance à l’équilibre psychosocial de l’enfant dans la pratique chorale peuvent nous aider à ce qu’il se sente bien dans la musique et à l’école. Nous avons donc agrégé plusieurs autres disciplines autour du chant choral classique : la méthode Dalcroze, qui permet de vivre la musique et d’apprivoiser des notions musicales par le mouvement, la technique Alexander, qui permet de mieux appréhender et maîtriser son corps, ainsi que la musicothérapie, qui crée les conditions d’une expression artistique personnelle, socialisante et bienfaisante », précise Marie-Hélène Serra. En clair, travailler à la fois la voix et la musicalité de l’enfant et son bien-être, de sorte qu’il puisse aller plus loin artistiquement dans un cadre serein.
Une pédagogie en devenir
Après seulement cinq mois de projet, les résultats sont probants. Sur scène, les enfants ont enchaîné sans hésitation les chants appris avec les chefs de chœur. « Ils sont vraiment émerveillés par le fait de chanter ensemble, commente Frédéric Pineau, chef de chœur. On constate une évolution fulgurante : à la fois de leur attitude et de leur voix, il y a une belle réactivité grâce à tous ces aspects qui accompagnent le chant ». Chef de chœur expérimenté, Frédéric Pineau souligne l’aspect novateur du projet : « Pour nous aussi, les intervenants, c’est un beau terreau d’apprentissage parce qu’on adapte constamment notre technique, on se forme, on échange tous ensemble et on évolue aussi. »
Pour réfléchir au déploiement du projet EVE, le département Education s’est inspiré de l’expérience du projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), où les musiciens travaillent main dans la main avec les travailleurs sociaux, afin de trouver des outils pédagogiques les plus adaptés qui permettent à chaque enfant de trouver sa place. Et si pour les 120 enfants réunis ce 26 juin, le grand événement était le concert à la Philharmonie, les équipes du projet EVE visent plus loin. Une équipe de scientifiques du Laboratoire LECD (Éthologie Cognition et Développement) de l’Université Paris-Nanterre est associée à la démarche et sera amenée à évaluer l’impact de cette pratique du chant choral sur différents aspects liés aux apprentissages et au bien-être des écoliers. La finalité est de rendre cette expérience accessible à tous : « Si l’enfant est heureux de venir à l’école, ce sera un levier pour les apprentissages, souligne Marie-Hélène Serra. Si l’enfant se dit : "demain je vais chanter, j’ai hâte d’aller à l’école ", notre objectif est atteint. Et si on y parvient en école REP+, où les élèves sont davantage touchés par l’échec scolaire, on en verra encore mieux les effets. » À terme, la pédagogie expérimentée pourra ensuite être divulguée aux professionnels du chant choral ou aux enseignants, quel que soit le contexte, et à la portée de tous les enfants.